Le traumatisme est une réalité tragique, sans rien de glamour, de romantique ni de constructif. Il fait mal, détruit, tue, peut rendre faible, amer, handicapé, tourmenté à vie.
Et pourtant, quand un traumatisme survient, cela peut aussi être l’occasion de grandir. Car le traumatisme apporte une sorte de révélation, comme un moment de vision aux rayons X à travers la surface des choses. Mais cette révélation n'est ni facile à recevoir ni automatique. Face au traumatisme et à cette révélation qui l'accompagne, nous avons spontanément tendance à l'ignorer, à la réprimer ou à la fuir. Mais lorsque nous nous y ouvrons, lorsque nous l'embrassons, cette révélation est susceptible de se déployer et de nous apporter clarté et enseignements pour le reste de nos vies.
Quelle est cette révélation?
C'est d'abord une révélation de notre intellect. En nous confrontant à la réalité de notre fragilité et de notre mortalité, le traumatisme nous fait prendre conscience de la façon dont notre esprit a construit un tissu complexe d’illusions, pour nous faire croire que nous étions en sécurité, que nous avions le contrôle sur nos vies, que notre environnement était stable, et même notre personnalité et notre caractère. Le trauma nous révèle que la plupart de ce que nous pensions solide et permanent ne l’est pas, et que même nous, ne sommes pas ce que nous pensions être. La plus grande partie de notre paix intérieure et de notre sens de nous-mêmes et de notre sécurité reposaient sur des illusions produites par notre esprit afin de nous aider à vivre le plus paisiblement possible. Cette révélation est difficile à avaler et il n’est pas étonnant que nous soyons tentés de l’occulter le plus rapidement possible. Mais le traumatisme nous oblige au moins à y faire face pour un bref moment de clarté.
Ensuite, c'est une révélation qui balaie notre intellect. Le trauma nous introduit dans un espace étrange où nous découvrons combien la réalité est plus grande que nous, inéluctable. Nous ne sommes le centre de rien. Nous ne sommes que des atomes dans un maelström infini, un chaos de changement sans égard pour nos besoins ou nos souhaits. À cause du traumatisme, nous sommes confrontés à notre propre mortalité et insignifiance, et à l'impermanence fondamentale de tout. Il y a une terreur dans cette révélation, un sentiment de tomber dans un abîme sans fond. Notre esprit est époustouflé et ses tentatives pour mettre un peu d'ordre dans ce chaos apparaissent comme pathétiques. Nous pouvons essayer de balayer cette instant de lucidité et de retrouver un sentiment de sécurité en reconstruisant un système de pensées rassurant. Mais le fait demeure que notre esprit a été exposé dans son incapacité à nous donner une véritable assurance durable. Nous pouvons y faire face ou essayer de l'ignorer, mais nous y avons été confronté, même brièvement. C’est la deuxième révélation qui vient avec le traumatisme.
Troisièmement, c'est une révélation qui dépasse l’intellect. Pour certains d'entre nous, c'est plus long à découvrir, plus long à explorer, plus facile à rater, mais c’est pourtant puissant, en relation directe avec les deux premiers points. Je dis pour certains d'entre nous, car j’ai lu beaucoup d'histoires de personnes ayant subi un traumatisme majeur et ayant vécu de manière forte et spontanée ce troisième aspect de la révélation qui vient avec le trauma. J'ai entendu des récits d'anciens combattants, de personnes ayant subi la torture, ayant failli subir une mort violente ou étant confrontés à une maladie grave. Nombreux sont ceux qui racontent d'une manière ou d'une autre comment ils sont arrivés, dans une sorte d'expérience mystique, à expérimenter profondément la perfection du moment présent, le sentiment de faire partie de l'univers, l'amour et la sécurité, l’irruption en eux paix durable au-delà et sans rapport avec les circonstances dramatiques auxquelles ils étaient confrontés. C’est quelque chose de ce genre que j’ai vécu avant mon amputation quand j’ai senti cette paix me réconforter alors que je respirais consciemment en répétant le nom de Jésus comme mon mantra. Certains ne l’expérimentent pas de manière aussi intense ou évidente, mais chacun peut trouver le chemin de cette "révélation du troisième type", quand on sait la chercher.
Cette "révélation du troisième type" est la découverte de ce qui se trouve au-delà et au cœur de ce qui est d’abord apparu comme le chaos, le maelstrom, l’abîme terrifiant, ce nouvel aperçu de la réalité. Au cœur de la réalité se trouve le Silence et un vaste espace. Certains appellent cela le vide ou le néant. Et ce silence, cette étendue, ce vide peuvent être expérimentés. Et quand on en fait l'expérience, on découvre que loin d’être vide ou néant, c’est un lieu d'amour et de paix, plein de potentialité et de lumière, la source de tout ce qui existe. Un lieu qui est au cœur de la réalité, ainsi que de chaque être humain. Cet endroit est notre véritable essence, l'expression la plus authentique de notre être. Certaines traditions l'appellent le vrai soi et le situent dans le centre du cœur. D'autres l'appellent le royaume de Dieu, ou le Grand Mystère. Il se dévoile derrière toutes les images, conceptions et illusions qui ont été balayées un instant par l'expérience du traumatisme et par la révélation qui l'accompagne. Quand on médite, c'est pour essayer de se connecter avec cet endroit. En avoir ne serait-ce qu'un aperçu, même si cet aperçu est venu à travers un traumatisme, est un cadeau précieux, un portail qui s'ouvre sur un champ infini d'exploration, de joie et de transformation.
Ayant vécu le traumatisme et y ayant survécu, je veux résolument en faire une opportunité de grandir et de mûrir. Je veux chérir cette révélation sous son triple aspect, et je souhaite l'explorer et en découvrir de plus en plus la profondeur, la beauté et le pouvoir de transformation. Je ressens une joie et une curiosité intenses face à cette perspective.
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