Je me souviendrai toute ma vie du moment où je suis entré dans la salle d'opération, quelques minutes avant le début de mon amputation.
Je vous ai déjà raconté dans des posts précédents mon expérience inattendue de paix au milieu du chaos et de la terreur, dans les jours qui ont suivi mon diagnostic de cancer. Et maintenant, j’en étais là: dans quelques instants, j’allais m’endormir et me réveillerais (espérons!) quelques heures plus tard sans ma jambe.
Je n’avais jamais vécu de situation aussi dramatique et effrayante et, à ma grande surprise, la paix était toujours là. Je pouvais respirer en répétant mon nouveau mantra, Jésus. Et je me sentais comme dans l'œil du cyclone: je voyais la fureur des éléments autour, mais me sentais pourtant étrangement en sécurité. J'avais au fond de moi le sentiment que Jésus était avec moi, et resterait avec moi quand je m’enfoncerais dans le noir. Il avait traversé des ténèbres plus profondes et il en était revenu. Je me sentais en sécurité grâce à sa présence à mes côtés. Alors j'ai dit à l'anesthésiste: "ok, on peut y aller", elle m'a mis un masque sur le visage et j’ai commencé mon voyage inconscient vers le monde souterrain.
Je suis revenu trois heures plus tard, sans ma jambe mais toujours avec cette étrange paix. Heureux d’être en vie. Et avec une douce rage qui brûlait en moi: une rage de vivre et de tirer le meilleur parti de cette nouvelle partie de ma vie. Cette rage ne m'a pas quitté depuis. En fait, elle brûle de plus en plus. Elle m'a déjà aidé à confronter et traiter beaucoup de toxicité héritée de mon histoire religieuse avec le christianisme, et de la façon dont croyaient mes parents et moi avec eux. J'ai réalisé à quel point la spiritualité peut être toxique et mettre la vie en danger lorsqu'elle rencontre des blessures non résolues et des traumatismes cachés. C'est le sujet d'un livre que je suis en train d'écrire.
Et un jour plus tard, je pouvais sortir de l'unité de soins intensifs et moins de dix jours plus tard rentrer à la maison , à la surprise de toutes les personnes impliquées, moi compris.
Je ne vais pas prétendre que c'était facile. Ce ne l'est toujours pas. J'apprends à vivre sans ma jambe et il y a une tristesse et une colère qui ne me quitteront probablement jamais à ce sujet. Mais je me suis réveillé avec de nouvelles choses qui brûlent dans mon cœur:
cette rage de vivre,
une confiance dans une présence aimante demeurant avec moi,
une fierté d'avoir pu tout traverser avec dignité et courage,
une conscience que je rentre dans une nouvelle phase de ma vie et que je me dois à moi-même de faire en sorte que ce soit pour le meilleur et non pour le pire.
Et c’est comme ça que j’ai appris à voir le traumatisme que j’ai enduré à la fois comme
un rite de passage
une initiation
1. Un rite de passage car cette expérience marque mon entrée dans une nouvelle phase de ma vie.
Ce pourrait être une idée totalement déprimante compte tenu de la réalité brute de l'amputation, des souffrances et de la perte de capacités impliquées. Mais avec cette présence de grâce au milieu de la douleur, médiatisée par cette figure de Jésus, peut s’ouvrir pour moi un autre narratif. Un narratif où je suis un survivant, pas une victime, et où ma perte m'ouvre la possibilité de continuer à vivre. Sans la perte de ma jambe, le cancer m'aurait tué! Ce nouveau narratif se déploiera pendant le reste de ma vie. Il se caractérise par un nouveau sens de dignité, de compétence et de confiance en soi.
Depuis cet aller-et-retour à travers le monde souterrain, je suis une nouvelle personne et mon nouveau corps est là pour me le rappeler.
2. Une initiation, car grâce à cette expérience, j'ai appris des leçons très importantes.
Ce ne sont pas des leçons qu’on peut lire dans des livres ou résumer en quelques mots. Elles ont été apprises dans un cœur à cœur avec la réalité. J'aurai besoin du reste de ma vie pour les découvrir et les appliquer à ma vie quotidienne.
Le premier fruit de ces leçons se trouve déjà dans les choses que j'ai découvertes brûlant dans mon cœur lorsque je me suis réveillé de l'amputation. Un autre fruit important est que cela m'a permis de découvrir beaucoup de toxicité en moi issue de mon héritage familial. J’ai déjà pu en traiter beaucoup et récupérer comme jamais mon droit de vivre et de profiter de la vie. La nouvelle personne que je suis est plus sage et en meilleure santé.
Et à travers cette initiation, j'ai pu me réconcilier avec mon intérêt pour le Grand Mystère qui est au cœur de la Réalité, et reprendre possession de mon désir de l'explorer et de le partager, dans une perspective d'ouverture radicale à toute la Réalité, dans une conversation respectueuse avec les chercheurs de toutes traditions et pratiques.
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