Laissez-moi vous présenter mon nouveau professeur: ma prothèse. Elle passe des heures avec moi chaque jour et me donne de précieuses leçons de réalité.
Je n'essaie pas d'être ironique. Quelques jours après mon amputation, j'ai écrit dans mon journal personnel: "être un survivant et non une victime". Et le meilleur moyen de ne pas être victime est d’apprendre tout ce que je peux de cette situation. Ma prothèse est là pour m'aider dans ce processus.
Ses leçons sont nombreuses, en voici quelques unes:
1 / Je peux faire face aux choses, même quand elles sont plus difficiles que je n'aurais pu l'imaginer.
2 / Je suis fragile, rien n’est garanti, et cela fait partie de la réalité pour chacun de nous.
3 / J'ai besoin des autres, et il y a de l'amour et des soins dans la tribu humaine: de la part de mes proches bien sûr, que ferais-je sans ma femme, mes enfants et mon beau-fils, mes amis? Mais c’est aussi vrai des relations moins intimes: que ferais-je sans mon prothésiste, mon précieux psychothérapeute, les physiothérapeutes, les médecins, les conducteurs uber, les employés de l’assurance ...
4 / Je ne dois pas me laisser définir par la façon dont les autres me voient. Pour cela, j'ai besoin de développer un sentiment de valeur qui soit enraciné dans l'être et non dans le faire, et de trouver de plus en plus de liberté vis-à-vis de ma vision égoïque de moi-même.
5 / Les frustrations, la douleur, le découragement font et feront partie de ma vie. Ils ne sont pas des ennemis si j'apprends à les accueillir et à les écouter.
6 / La spiritualité n'est pas un moyen d'échapper à la réalité ou de la transcender. J'ai cette intuition/sentiment/conviction que Dieu/le Grand Mystère/Ce qui est Important est présent au cœur même de la réalité. Et ma réalité est faite de nombreux moments de frustration, de découragement, voire de douleur. Il est difficile de réapprendre à marcher avec cet équipement. Il est difficile de faire face à la façon dont les gens dans la rue me regardent. Il est encore plus difficile de faire face à ma propre colère, à ma pitié de moi-même, au mépris de mon nouveau corps et de ma nouvelle condition, qui surviennent souvent lorsque je fais face à mes nouvelles limites.
Cette prothèse me permet de bien me souvenir de tout cela. C'est un rappel constant de ma nouvelle condition. Et cela m'apprend un grand message de de la Réalité: Ce qui est Important est précisément ici. La présence du divin fait surface justement dans ces moments qui semblent les plus triviaux et les plus difficiles. Ici et ici seulement, je peux découvrir à quel point je suis aimé et accepté tel que je suis et où je suis, inconditionnellement.
Et comment puis-je faire cette découverte?
Principalement en me le donnant à moi-même: en apprenant à m'aimer mieux, à m'accepter et à me soutenir tel que je suis et où je suis, même si c'est difficile et si cela me confronte à toutes mes plaies et obscurités, à toutes mes résistances à m’aimer et m’accepter. Je suis le premier qui dois exprimer et incarner l'amour divin pour moi-même. Quand j'apprends à le faire, même douloureusement et partiellement, toute la réalité, tout l’univers me soutient et m'aide, car je vais dans le même sens qu’eux. Je suis comme le surfeur qui ne combat pas la vague mais utilise sa force et va avec elle. Et même les petits fragments de cet amour et de cette acceptation qui commencent à surgir en moi sont très précieux, car ils me rendent plus doux et plus capable d'aimer et d'accepter les autres de la même manière que je peux le faire pour moi-même.
Le Divin/le Grand Mystère est très proche du sol, beaucoup plus que dans n'importe quel endroit plus élevé. Précieuse leçon!
Comments