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La souffrance silencieuse des hommes

  • Photo du rédacteur: Marc-Henri Sandoz
    Marc-Henri Sandoz
  • 26 sept.
  • 9 min de lecture

Dernière mise à jour : 1 oct.


la souffrance silencieuse des hommes

Cet article est né de la souffrance des hommes


Cet article est né d’abord à l’intérieur de moi, en regardant comment j’ai dû prendre conscience de mes propres poches de douleur et de non-sens, et comment j’ai trouvé le chemin pour les dépasser dans mon travail intérieur.

Puis à travers ceux que j’accompagne, dans mon travail de mentor et de thérapeute : des hommes confrontés à leur propre mal-être, souvent à l’occasion d’une crise grave — dans leur couple, face à leur santé, ou dans d’autres passages de vie difficiles. Des hommes qui ont compris que ces circonstances étaient une invitation à aller à la rencontre de leur monde intérieur, pour dépasser le non-sens et trouver en eux les ressources nécessaires pour traverser l’épreuve.

Et aussi dans le regard porté sur tant d’autres autour de moi, qui ne se soignent pas, qui ne cherchent pas d’aide, mais dont je perçois les signes de vide et de mal-être trop visibles pour être ignorés.


La chose qui m’a alors frappé, c’est à quel point cette souffrance est liée à ce que j’appelle un manque d’initiation.

Des initiations manquantes ou incomplètes.

Des initiations toxiques.

Des initiations perverses.


C’est le sujet de cet article.



Pourquoi des initiations ?


Si nous avons besoin d’initiation, c’est parce que la vie elle-même est difficile.

Depuis l’enfance, nous sommes exposés à des forces plus grandes que nous : la souffrance, la perte, l’absurdité, le non-sens. La lucidité humaine a toujours reconnu qu’il ne va pas de soi de donner sens à l’existence ni de trouver la force de traverser ce qu’elle impose. La vie peut être belle, généreuse, et pourtant traversée d’épreuves et de menaces qui dépassent la capacité d’un enfant ou d’un adolescent livré à lui-même, et qui obligent même l’adulte aguerri et mûr à une conscience radicale de sa fragilité, de ses limites, en même temps que de sa puissance.


C’est de cette lucidité qu’est née la conscience du besoin d’une initiation.



Les éléments fondamentaux d’une initiation


Les sociétés traditionnelles nous aident à comprendre ce dont nous avons besoin pour une initiation réussie. Car c’est bien cela qu’elles ont cherché à mettre en scène à travers leurs rituels d’initiation.


Je ne veux en aucun cas idéaliser ces sociétés. Je suis conscient que bien des rituels d’initiation n’atteignaient pas pleinement ce but, et qu’ils pouvaient même, dans certains cas, être traumatisants, voire inhumains. Néanmoins, le simple fait que ces sociétés aient tenté de mettre en place de tels rituels exprime une conscience fondamentale, présente au cœur de l’humanité : celle du besoin d’initiation. La conscience que la violence de la vie exige un cadre, et que ce cadre doit être garanti par des anciens capables d’accompagner ceux qui passent le seuil.


L’épreuve en est le cœur : une mise en scène de la difficulté de la vie. Une confrontation réelle avec la souffrance, la limite, la dureté de l’existence — mais vécue dans un espace délimité qui protège de la destruction et rend possible la croissance.


Une initiation réussie, c’est cela : l’enfant, l’adolescent ou le jeune homme découvre la gravité de la vie, mais dans un cadre protecteur et accompagné.

L’épreuve ne le submerge pas : il sait qu’elle a été mise en scène et préparée par des anciens qui lui veulent du bien, et qui eux-mêmes ont déjà traversé ce passage.

De ce fait, l’épreuve devient une ouverture vers plus de maturité.

Il découvre ses propres ressources.

Il découvre aussi les ressources de la tribu, de la communauté qui l’entoure.

Et en même temps, il découvre ses limites.


Car l’initiation protège également du déni et du fantasme de toute-puissance, qui sont d’autres manières d’échapper à la réalité en refusant de regarder en face la difficulté de la vie.


Ainsi, l’initiation permet d’accéder à un stade de maturité au moins un peu supérieur à celui qui précède l’épreuve.




les fruits d’une initiation réussie

Les fruits d’une initiation réussie


Une initiation juste porte des fruits concrets :

• une confiance plus grande dans ses propres ressources,

• une lucidité plus claire sur les difficultés de la vie, mais aussi sur ses aspects positifs et sa beauté,

• une conscience à la fois de ses limites et de ses capacités.


C’est comme la posture du bon marin : il sait que la mer est plus forte que lui, qu’elle peut toujours le dépasser. Mais il sait aussi que, le plus souvent, il peut adapter son comportement, lire les courants, jouer avec le vent, rester au port quand la tempête s’annonce trop forte, et trouver son chemin grâce à ses talents de navigateur.


Il sait aussi que parfois la tempête sera plus forte que lui, que le naufrage existe — mais cela ne remet pas en question sa capacité de naviguer. De la même manière, accepter une certaine impuissance ne veut pas dire qu’on est totalement impuissant. Et prendre conscience de l’extrême fragilité de la vie dans certaines circonstances ne veut pas dire que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue, ni que nous manquons de ressources pour l’habiter pleinement.



Quand l’initiation manque


Dans nos sociétés modernes, les enfants et les adolescents ne sont pas préparés à la rencontre avec les grandes épreuves de la vie. Elles surviennent de manière abrupte, brutale, imprévue : la maladie d’un parent, la mort d’un proche, la séparation — ces épreuves de l’existence qui nous frappent toutes et tous un jour.


Mais il y a aussi d’autres blessures, d’une autre nature : quand le parent ou le caregiver est défaillant, négligent, ou même malveillant et malfaisant. C’est le cas de la négligence grave ou de l’abus.


Dans ces deux registres, un même constat : il n’y a pas d’adulte capable de poser un cadre, de protéger, d’accompagner.


Là où il aurait fallu un rite, de la présence, de la maturité pour donner sens, la société laisse le hasard décider. L’enfant ou l’adolescent se retrouve seul face à l’abîme. L’épreuve est bien là, mais sans cadre, sans présence bienveillante pour l’aider à traverser.


Alors ce qui aurait pu devenir une initiation s’enlise dans le traumatisme. Au lieu d’ouvrir à la maturité, l’expérience enferme : passivité, doute, dissociation, addictions, impuissance apprise qui paralyse devant la vie.


J’ai vu tant d’hommes marqués par cette blessure : incapables de se sentir pleinement vivants, subissant la détérioration de leur couple, glissant dans des comportements de fuite, négligeant leur santé, ou se coupant de leurs proches et de leurs enfants. Et bien souvent, cela se transmet de génération en génération : comment transmettre une initiation qu’on n’a pas soi-même reçue ?


C’est ainsi que j’en suis venu à distinguer trois formes d’initiations fautives :

• les initiations manquantes,

• les initiations toxiques,

• les initiations perverses.




les initiations fautives ou manquantes

Les initiations fautives


Quand l’épreuve survient sans cadre, sans protection ni accompagnement, elle ne devient pas initiation mais blessure. Et ces blessures prennent différentes formes.


Il y a d’abord les initiations manquantes : l’épreuve est bien là, mais personne n’est présent pour en faire un passage. L’enfant ou l’adolescent affronte seul la difficulté, sans sens, sans reconnaissance. Livré à lui-même, il doit se réfugier dans la dissociation, dans la négation de ses émotions. Et il reste marqué par un fardeau de culpabilité, de honte et de désespoir qui l’accompagnera tout au long de sa vie.


Il y a ensuite les initiations toxiques : quand les adultes transmettent, souvent inconsciemment, des messages destructeurs qui s’impriment dans l’enfant — des injonctions, des humiliations, des paroles empoisonnées. Tout cela pénètre à l’intérieur de lui et devient une sorte de monstre intime, une instance critique intérieure, une voix de dévalorisation et de doute qui va l’accompagner toute sa vie.


Et puis il y a les initiations perverses : ce sont des cas particuliers d’initiation toxique, mais encore plus graves et terriblement marquants. C’est notamment le cas dans le domaine sexuel, quand celui ou celle qui aurait dû être le protecteur devient l’agresseur. Ce qui aurait dû être une protection se transforme en intrusion, en éveil prématuré qui blesse profondément. Cela altère la confiance dans la vie et dans les autres, et engendre souvent des comportements autodestructeurs ou de violence envers autrui, qui viendront empoisonner durablement la vie de l’enfant.


Toutes ces formes d’initiations fautives ont un point commun : elles enferment au lieu d’ouvrir. Elles laissent l’homme adulte passif, coupé de ses émotions, prisonnier d’addictions, de compulsions, de comportements toxiques, d’un sentiment d’impuissance ou d’un désespoir silencieux. Elles nourrissent ce cercle tragique où l’on transmet aux générations suivantes le manque que l’on a soi-même subi.



Prendre conscience de nos blessures


Dans nos sociétés modernes, nous ne pouvons plus attendre du collectif qu’il nous offre ces initiations. Elles ne viendront pas à nous toutes faites, portées par la tribu ou par les anciens. La responsabilité repose désormais sur chacun d’entre nous : trouver, créer, inventer nos propres passages.


Mais une responsabilité encore plus grande nous incombe : prendre conscience des initiations qui ont manqué, qui ont été toxiques ou perverses. Regarder avec lucidité les traces et les séquelles qu’elles ont laissées en nous. Reconnaître aussi comment elles ont façonné l’adulte ou le parent que nous sommes devenus, parfois jusqu’à nous conduire à transmettre à notre tour des failles, des manques, des blessures, à blesser autrui.


C’est seulement en affrontant cette vérité que nous pouvons décider résolument d’entrer dans une démarche de guérison et de réparation. Une démarche qui nous occupera jusqu’à notre dernier jour, qui demandera courage et détermination, et qui exige de ne pas accepter les portes fermées ni les sentiments d’impossibilité.



Affronter les obstacles intérieurs


J’ai écrit tout cet article depuis mon point de vue d’homme. Un homme qui a subi la négligence et l’abus, qui a péniblement et lentement pris conscience de ces blessures et du mal qu’elles avaient pu causer, des conséquences qu’elles avaient pu avoir sur mon entourage, qui a trouvé des chemins pour se réparer et qui continue à avancer, avec l’humilité de savoir que la guérison n’est jamais complète, qu’elle est un processus, le travail d’une vie.


Dans mon propre chemin et dans le contact avec d’autres hommes, j’ai vu deux obstacles majeurs. Le premier, c’est la passivité et le sentiment d’impuissance, presque toujours accompagnés de culpabilité et de honte. Ce sont là des signes clairs que l’initiation a manqué. Le second obstacle, c’est le besoin de protéger les parents, d’entretenir l’illusion que « ce n’était pas si grave », que « j’ai eu une enfance heureuse », que « d’autres ont vécu pire que moi ». Cette loyauté-là retient beaucoup d’hommes de se mettre en route.


Mais cette loyauté doit être dépassée, non pas pour trahir nos parents, mais au contraire au nom d’une loyauté plus grande : celle qui les honore dans ce qu’ils auraient mérité d’être, dans la guérison qu’ils auraient mérité eux aussi. C’est en les regardant avec lucidité que peuvent naître de vrais pardons et une vraie compassion — car accordés trop tôt, ils ne seraient que des échappatoires et des faux-semblants.



Les chemin de guérison


Je partage ici les chemins que j’ai trouvés pour aller à la rencontre de mes blessures et pour me donner à moi-même les initiations qui m’avaient manqué :

• la psychothérapie, qui peut offrir un espace de reconnaissance et de traversée ;

• les cercles d’hommes et de femmes, qui recréent une fraternité et une sororité initiatiques ;

• les écoles de sagesse ou de mystère, qui transmettent des pratiques de transformation ;

• les chemins spirituels, avec leurs rituels et leurs expériences guidées ;

• et pour certains, les expériences avec les psychédéliques, quand elles sont vécues dans un cadre sûr et porteur de sens.


L’initiation aujourd’hui ne se donne pas, elle se cherche. Elle ne se reçoit pas passivement, elle s’accueille en osant franchir les seuils qui se présentent. Mais il faut être lucide : ce chemin demande un effort réel. Il demande du courage, de la persévérance, de la détermination. Il demande aussi un investissement : du temps, de l’énergie, de l’argent. Ce n’est pas quelque chose que l’on obtient par une solution rapide ou superficielle.


À un moment donné, ce chemin nous confrontera à la douleur, à l’ombre, à des passages difficiles. Il y a une pénibilité inhérente à cette démarche. Elle n’exclut pas la lumière — au contraire, elle y conduit — mais elle demande d’abord de traverser ce qui fait mal, ce qui effraie, ce qui blesse. Ce n’est pas un travail confortable — et cela ne peut pas l’être.


Je vois trop souvent des personnes espérer trouver un apaisement durable dans une séance isolée chez un énergéticien, ou dans quelques mois de travail avec des méthodes qui n’abordent pas la profondeur des blessures. Mais la guérison des initiations manquées, la vraie, n’est pas un “quick fix”. C’est un travail long, exigeant, un chemin qui engage toute une vie.



Une responsabilité solennelle


Personnellement, j’ai choisi d’y investir toutes mes ressources : mon intelligence, ma force physique et mentale, et aussi mes ressources relationnelles, en allant chercher conseil, en apprenant de ceux qui avaient trouvé des passages, en demandant de l’aide. C’est un travail solennel, une responsabilité que nul ne peut déléguer, une œuvre intérieure qui incombe à chacun.


J’écris cela à partir de mon expérience d’homme et dans l’écoute des hommes que j’accompagne. Mais je sais que les femmes aussi sont concernées, et je crois que cette réflexion peut les toucher tout autant. À chacun et à chacune de voir comment cela résonne, et d’y trouver ses propres chemins d’appropriation.


C’est cela, à mes yeux, la dignité d’un homme ou d’une femme aujourd’hui : prendre au sérieux cette responsabilité, et choisir résolument de devenir créateur et créatrice de notre propre vie.



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